2024
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A la croisée des chemins
Que la lumière soit ! C’est ce qu’inspirent les tableaux récents de Zineb Guérout. On peut en effet diviser, comme on sépare l’ombre et la lumière, sa production actuelle en deux séries : l’une en apparence figurative, semblant s’inscrire dans une tradition rassurante pour le profane, l’autre plus énigmatique et interpellant notre capacité verbale à identifier les choses.
La première nous fait penser au genre du paysage, naturel et champêtre puisqu’il s’agit de champs de blé, nimbés d’une lumière intense alors que le fond céleste paraît plus ombrageux. Comme s’il se sentait menacé… Les blés occupent les deux tiers de la surface peinte et sont perçus du point de vue du sol, de la terre, ce qui donne l’impression qu’ils partent à la conquête du ciel. Notre regard épouse cet élan et du même coup la cause défendue par l’artiste. Le regain spontané d’une Nature qui revendique ses droits ainsi que l’on a pu le constater lors du confinement. Chaque épi est singulier et, miracle unificateur de la lumière, se présente à nous tel un rideau, creusé d’ombres, ce qui ne nous empêche pas d’y quérir notre chemin, peut-être vers ce lieu idéal que Bonnefoy nomme l’arrière pays. Toujours est-il que la matière picturale se fait jour à nos yeux et nous rappelle à notre condition. Car nous sommes faits de matière. La terre est notre seul bien, notre unique certitude, source d’équilibre et de jouissance visuelle. Ne nous y bernons pas toutefois : Si les paysages peints par Zineb Guérout semblent empruntés au réel ils sont en fait le produit d’images récurrentes et insistantes. Ainsi chaque champ qu’elle peint est le fruit d’un processus mental. C’est alors sa lumière intérieure qui se voit projetée sur la toile, dans le mouvement inverse à celui qu’elle figure : de l’esprit qui conçoit vers le réel qui représente tandis que, sur la toile, on part du réel pour aboutir à une élévation spirituelle. Du sol vers le ciel. Les champs de blés, peints à hauteur d’épis, presque du point de vue de la terre, en légère contre-plongée, témoignent de la vigueur ancestrale de la nature soumise au rayonnement solaire, notre lumière.
La seconde relève d’un genre singulier, propre à l’artiste, tout à fait à part puisque celle-ci y invite une forme, énigmatique et récurrente, qu’elle positionne sur divers plans de l’espace du tableau dont on a vu qu’il lui permettait de projeter son espace mental. Cette forme est ronde et s’apparente à une boule ou une sphère. Certains croient y reconnaître une pelote d’où se détachent quelquefois des fils ? Un nid ? Un cocon ? Un astre ? On a du mal à se décider et peut-être est-elle, cette forme, simplement universelle, et n’a nul besoin au fond de se voir identifiée (car identifier c’est réduire la polysémie). Cette sphère, dans les tableaux de Zineb Guérout, peut s’avérer disproportionnée eu-égard aux dimensions non négligeables de ses toiles. Il lui arrive même d’en déborder les limites ce qui nous permet de l’appréhender au plus près, donnant même l’impression qu’il nous serait possible d’aller y regarder plus avant, dans son lointain intérieur. Cette forme accroche également la lumière, extérieurement et aussi souvent de celle qui émane de son orifice béant. On peut ainsi voir celle-ci irradier de chaque ouverture, à l’instar d’une fleur tournée vers le soleil (du regard). Elle se présente à nous soit en tant que corps flottant dans l’espace, soit posée sur un support. Dans les séries récentes, on voit se profiler une sorte de croix derrière elle, qui semble clore, de lumière, l’arrière plan. Cette croix, dite de St André mais plus connue en tant que signe de la multiplication, assez imposante au demeurant, ne recourt point au dessin et à ses contours mais est produite par la matière peinte et colorée, que maîtrisent les gestes de l’artiste. La sphère semble avoir eu du mal à s’émanciper des lois physiques du réel puisqu’elle s’accommode parfois de la présence d’une échelle, ce qui prouve que nous ne sommes pas dans un univers cartésien, plutôt dans un espace où peuvent coexister des natures et dimensions différentes. Le tableau est comme le rêve (et donc notre lointain intérieur, notre espace mental) : il mêle des éléments logiquement incompatibles. Ce qui n’empêche pas que l’on puisse lui trouver du sens. Si les images, mentales, de sphères, produites par Zineb Guérout ne sont pas, à proprement parler, réalistes, elles empruntent à ce que la Nature humaine a conçu de plus universel : les lois de la physique, de la la géométrie, les tensions entre les masses, la gravitation… L’échelle c’est ce qui rattache les images mentales au réel. C’est au fond la forme stylisée du tableau (Pensons à l’ouvre de Daniel Dezeuze). Et le tableau, quant à lui, est bien ancré dans la réalité, y reliant du même coup l’artiste. C’est même à sa surface que se mêlent lumière intérieure et celle qui nous éclaire, et qui éclaire les astres, les pelotes de fils picturaux, les nids d’énergie, tout ce que l’on veut y voir.
Fruit d’une image mentale, le tableau a besoin du réel pour voir le jour, la lumière du jour. Car l’artiste ne vit pas dans sa tour d’ivoire. Elle est sensible à ce qui l’entoure et que l’on nomme l’environnement. En fait, dans la série des champs de blé, elle prend le parti de la Nature et adopte une position critique par rapport à l’humain : pas seulement chacun de nous en tant qu’individu, mais l’Homme en tant qu’espèce, tel qu’il s’est accompli dans son Histoire, en s’éloignant d’Elle, ce que nous appelons nos Civilisations. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’insertion, au fond d’un paysage, ou sur une sphère gigantesque, de ces curieuses formes géométriques noires, carrés, cubes, colonnes, et qui paraissent incongrues, déplacées, le contraire même du réalisme. Un peu comme l’énigmatique monolithe de 2001, odyssée de l’espace, ces formes incarnent la totalité du savoir, lequel paraît dérisoire pourtant en comparaison du caractère éternel de la Nature (dont il n’est sans doute qu’un cas particulier, un vaniteux avatar). Dans la peinture de Zineb Guérout, la Nature récupère ses droits, affirme sa suprématie et son aptitude à s’épanouir en toute liberté, en contradiction avec les règles qu’on lui impose. Que l’Humain lui impose. On a pu le constater pendant le Covid. La Nature n’a guère tardé à renaître… Elle se passe très bien de nous. Sa lumière, dans les tableaux, est censée aussi nous éclairer. Et éclairer ce ciel tourmenté vers lequel elle dirige ses forces lumineuses.
Par ailleurs, tout artiste est plus sensible que le commun des mortels à cet élan vital et (ré)créatif qui définit la Nature. Zineb Guérout ne se pose point en antagoniste mais plutôt en consœur, avide de retrouver l’unité perdue, l’harmonie dénaturée. N’oublions pas qu’un paysage, disait-on autrefois, est un état d’âme ? Cette unité, recherchée, c’est justement la lumière qui l’autorise. On peut le vérifier face aux champs de blé où elle comble l’espace entre les épis. La figure même de ce que j’ai assimilé à pelote, à un nid ou un cocon nous met sur la voie des coïncidences entre les deux partenaires au féminin. D’une part la Nature et l’artiste ont l’énergie en commun, et ainsi la capacité de produire, celle aussi de reproduire, et de ce point de vue la référence au cocon ou au nid ne saurait s’avérer innocente. D’autre part, s’il arrive à la Nature de s’accommoder de nos formes abstraites, elle peut foncièrement s’adapter à tout, de sorte qu’il arrive à l’artiste de trouver, grâce à la elle, par ces paysages, mentaux, un motif fécond, de manière que le lien puisse être rétabli. Je me demande ainsi si la pelote-cocon ne métaphorise pas la création, celle de l’artiste comme celle à laquelle nous renvoie l’étude du cosmos. La sphère est un symbole d’éternel retour, de renaissance, de regain comme pour les champs de blé, d’éternel usage, telle la pelote... S’il en était ainsi, cette énigmatique sphère figurerait, en dernière instance, le processus même de création qui caractérise la peinture même de Zineb Guérout. Une image mentale conçue dans son esprit, s’enroule sur la toile comme une pelote, et évolue dans l’espace de cette dernière comme une planète dans le cosmos.
Le tableau incarne à la fois cette capacité de créer concrètement une chose qui demeure, nous survit et rejoint de la sorte l’éternité du monde naturel. Dans le cas de Zineb Guérout, il est hybride puisqu’il mêle Nature et conception humaine. L’artiste se fait intercesseur entre la Nature et la civilisation, et le tableau joue les traits d’union, confirmant le statut de l’artiste en tant que tel. Je dis trait d’union mais je pourrai parler de fil conducteur. Le fil joue un rôle important dans cette peinture. On le voit se différencier sur les sphères ce qui justifie le rapprochement avec une pelote. On voit très bien, dans les champs de blé, combien certains épis se distinguent de la masse lumineuse des autres. La surface des sphères laisse affleurer ce même fil dont on voit les circonvolutions, du moins sur la surface apparente, mais qui se prolonge, suppose-t-on, sur la face cachée.
Certes la sphère tend à occuper la majeure partie de l’espace du tableau, mais l’artiste sait prenne du recul et nous la livre assortie d’un support : une table au premier plan, une sorte de planche incurvée sur laquelle elle défie les lois de l’équilibre. C’est que le tableau n’est pas un espace cartésien. Il ouvre à une autre dimension, celle de l’imaginaire, mot à prendre au sens fort. On a vu que l’artiste ne cherche pas à reproduire le réel mais des images mentales, lointain écho de ce dernier, intériorisé et métamorphosé. Les images, figées sur la toile, peuvent dès lors s’émanciper de nos lois physiques. Encore un point commun avec la Nature : se jouer des règles. Ainsi de celles de l’équilibre, inimaginables dans le réel mais tout à fait plausibles sur une toile. Après tout, il s’agit d’un plan, d’une surface redressée. D’un leurre ou trompe l’œil, au fond. Pas étonnant dès lors que chacun y projette, comme en un spectre de Rorschach, ses propres références : le nid, le cocon, la pelote et son fil, tel astre dans l’univers sidéral… Toutefois, à cause de la forme ronde qui semble flotter dans l’espace, il est difficile de ne pas penser à un astre, une planète (et nous revenons à la terre, notre bien, notre certitude). Ici encore la Nature, dans sa haute et pleine majesté, comme disait le philosophe, prouve sa supériorité puisque la forme ronde, sphérique, existe bel et bien dans le cosmos tel que nos sens nous le découvrent en levant les yeux. Elle est capable d’engendrer des formes pures, de celles que l’artiste s’efforce de représenter, avec les moyens qui lui sont propres. Si elle engendre, elle est créative : n’est-elle pas aussi quelque peu artiste ? Pas surprenant que les deux, Nature et Artiste puissent s’entendre.
Les tableaux de Zineb Guérout, évoluent quelque part entre les images d’où ils émanent et le monde auquel ils sont destinés. Ils semblent figurer la Nature mais ne peuvent ignorer sa vieille ennemie la civilisation, ce qu’expriment les textes religieux et les mythes. Ils ne peuvent se passer de lumière car, sans elle, le monde retournerait au néant, les couleurs n’existeraient point et les tableaux seraient invisibles. L’artiste figure une vision du réel mais sa source est dans l’imaginaire. Elle est fascinée par l’éternité qui sied à la nature, par sa capacité de se renouveler, mais ne peut que constater que notre finitude nous promet une condition funeste (figurée par une série de verticales noires). On le voit : sa peinture concilie des contraires, se situe à la croisée de nombreuses forces antagonistes. Une toile à l’acrylique le signifie bien, qui met au premier plan une sphère immobile, devant deux sources de lumière, en forme de croix en x, penchée. Autant dire à la croisée des chemins. De ceux qui mènent quelque part… Et que l’on voit se profiler dans les champs de blés de Zineb Guérout. Entre ombre et lumière.
Bernard Teulon - nouailles (AICA)
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Libre, l'herbe croit dans les fissures du sol, avec sa puissance invisible elle perce le bitume, la pierre, le béton, détruit les édifices construits par l'homme : routes, maisons, monuments et recouvre lentement la planète. Elle laisse seulement subsister, isolé, hiératique, un cube noir, comme un cénotaphe de la « civilisation »
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La forêt des âmes
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Assé pléré
"Les tableaux clairs ne sont là que pour les sombres, les gardiens paisibles d'une lumière qui a chez eux disparu. La terre est-elle désormais dans le collimateur de Dieu lui-même qui a décidé d'en finir avec une expérience malheureuse et de la destruction en se contentant de la rayon de ses pensées ? (Sophie de Velder)
